Au mois de janvier, Babelio a organisé une #massecritique dédiée à la fiction. Les maisons d'édition ont envoyé leurs titres sélectionnés à des lectrices et lecteurs qui se sont engagés en retour à lire et écrire une critique dans un temps imparti. Nous avons saisi cette chance, alors qu'il a été compliqué d'aller à la rencontre du lectorat, d'aller toucher des personnes séduites par la couverture et le résumé des livres.
Difficil pour moi d'être brève ! J'annonce d'emblée que je compte masquer un certain nombre de lignes, pour éviter de gâcher les belles surprises aux futurs lecteurs.
La pièce Pas de bougie bougie tout d'abord :
J'ai ri dans mon lit dès les premières pages. Cette pièce est pleine d'humour : humour noir et humour par l'absurde principalement, avec de nombreux jeux de mots, bref tout ce que j'aime !
Au vu des nombreuses références, tant musicales que littéraires, cinématographiques ou télévisuelles, j'ai supposé que les autrices avaient à peu près le même âge que moi (mais je n'en ai toujours aucune idée). J'ai apprécié la variété des références musicales, j'avais des chansons en tête rien qu'en lisant les dialogues (cf « c'est comme ça, sans tambour ni clarinette, entre le plat et le dessert » p13 par exemple) .
L'idée d'alterner des répliques d'Amélia, qui ne sont que des platitudes ou des chansons de dessins animés, et des proverbes revisités de la mort d'Amélia, m'a beaucoup amusée.
Toutefois, derrière l'humour, il me semble que nous avons aussi une pièce satirique :
- on se moque gentiment des injonctions bien-pensantes actuelles : végétalisme, retraite spirituelle, médecins douces, rigolothérapie, smoothie, compost et feng shui… (le coach de vie oubliera finalement ses bons principes) – attention, ceci n'est pas un jugement de ma part, le coach est un cliché à lui tout seul et c'est ce qui le rend drôle, cela ne signifie pas que les valeurs prônées sont décriées
- on voit que les nouvelles se répandent via la Gazette du village aussi vite que sur les réseaux sociaux, que la société est prompte à juger, a des réactions inappropriées (mais Amélia le lui rend bien !)
- on dénonce les clichés liés à l'âge : poil disgracieux, Alzheimer et compagnie, absence de vie sexuelle… j'ai beaucoup aimé l'idée d'attribuer à la vieillesse une affirmation généralement entendue au sujet de la jeunesse (« dérive du 4e âge en perte de repères, faisant l'apologie de la drogue et la violence »)
- on pointe brièvement du doigt (avec humour, une fois encore) la société de consommation, au travers du salon funéraire.
Évidemment, la pièce nous invite à réfléchir sur la libre disposition du corps humain, sous la forme du suicide. Est notamment posée la question de savoir qui est véritablement égoïste : la personne qui passe à l'acte en laissant ses proches derrière elle ou bien la société qui refuse de laisser partir la personne même lorsqu'elle souffre (physiquement ou psychologiquement) ? Divers points de vue nous sont présentés ; le suicide est envisagé comme un acte :
- digne par Amélia,
- admirable par les jeunes gothiques,
- courageux par l'amie d'Amélia,
- blasphématoire pour l'Eglise,
- égoïste par les proches d'Amélia,
- criminel par la loi, le suicide assisté ou l'euthanasie n'étant d'ailleurs débattus qu'en cas de « drame médiatisé ».
Ainsi, le fils d'Amélia lui reproche d'infantiliser sa famille, mais on se rend bien compte que l'inverse se produit également (à cet égard, il me semble que la pièce critique aussi la façon dont on traite nos aînés) ;
Le prêtre tente de dissuader Amélia, tandis que le choeur gothique l'encense (les rôles seront d'ailleurs inversés : c'est Amélia qui pardonnera son incompréhension au prêtre, lequel craint l'idée même de la mort).
Je n'ai pas parlé des petits-enfants d'Amélia : ils incarneront la tolérance et la bienveillance, j'ai trouvé la scène 3 de l'acte V subtile, délicate. Quant à la scène 5, bien menée et surprenante, j'ai souri en imaginant ce que cela pouvait donner sur scène !
Cette pièce se lit en très peu de temps, je n'ai eu aucun mal à imaginer une représentation en direct (cela m'a rendue nostalgique du temps où nous pouvions aller au théâtre...) et je dois dire qu'Amélia est une grand-mère résolument moderne, j'ai adoré son personnage (le genre de grand-mère que je pourrais devenir peut-être ?).
Shakesqueer : la querelle, ensuite :
Cette pièce raconte le combat de deux femmes homosexuelles, Inès et Rachel, qui luttent, chacune à leur manière, pour un monde plus écologique et solidaire (pour la survie de l'humanité en somme).
Inès, en campagne électorale, refuse de révéler tous les détails de sa vie privée aux membres de son parti, tandis que Rachel voudrait crier leur amour. Inès ne veut pas être empêchée de changer le monde parce que sa vie privée ne serait pas acceptée par son électorat. Au fur et à mesure, Rachel, vexée, se sent délaissée et même trahie par sa femme lorsque celle-ci accepte l'argent d'une célèbre multinationale pour financer sa campagne. Inès se donne bonne conscience en se comparant à Robin des bois tandis que Rachel est choquée de voir Inès se mentir et trahir ses convictions pour servir ses intérêts particuliers. Un drame viendra jeter encore un peu d'huile sur le feu. Nous assistons au déclin de leur couple, avec Inès qui se consacre à sa vie politique, laquelle vient sans cesse interrompre ou perturber des moments importants de sa vie intime, et Rachel qui est réduite à son rôle de mère.
J'ai aimé le fait d'assister aux mêmes dérives que dans un couple hétérosexuel, je pense que c'était volontaire et je trouve que c'était une bonne chose.
La pièce pose plusieurs questions très actuelles, dont la principale est de savoir si la vie privée est politique. Elle dénonce les violences policières et les inégalités de toutes formes, et nous interroge sur la place de la liberté d'expression dans notre société d'aujourd'hui. Elle n'oublie pas non plus les questions de genre (la présentatrice du JT qui commence par « Mesdames, Messieurs et Autres, bonsoir » m'a bien fait rire)
Tous les profils politiques sont représentés, avec des élus et militants parfois racistes, parfois misogynes, parfois homophobes… et bien sûr, toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite !
Contre toute attente, Inès, pourtant représentante de plusieurs minorités, triomphera.
C'est une pièce engagée qui délivre tout de même un message d'espoir. de fait, elle m'a paru beaucoup moins humoristique, même s'il y a de nombreux jeux de mots qui m'ont fait rire ou sourire. Chose qui devrait peut-être nous inquiéter, elle m'a également paru beaucoup moins caricaturale…
On y trouve une fois encore de nombreuses références ; je suis sans doute passée à côté de certaines.
Sur la forme :
J'ai aimé la police d'écriture, le format souple du livre. Si je devais formuler une critique, je dirais que j'ai eu du mal à savoir si l'absence de forme négative était volontaire (ex : « on en parle pas »), et j'ai été agacée de trouver plusieurs fautes d'orthographe (cf p30, 42, 97, 139, 147, 162, 206). Même si j'ai eu grand plaisir à lire cette pièce, je trouve cela dommage.
Si l'écriture inclusive m'a gênée en lisant la première pièce (oui, je fais partie de ceux qu'elle agace, pour le moment), cela fut moins le cas en lisant la seconde : la pièce dénonçant entre autres choses les inégalités homme / femme, l'écriture inclusive me paraissait y trouver sa place. Un autre choix aurait pu être critiqué par les esprits tatillons.
Pour conclure, j'ai pris plaisir à découvrir ces deux pièces contemporaines. Étant manifestement plus encline à rire de la mort que du monde dans lequel je vis aujourd'hui, ma préférence va à la première pièce ! Je ne lis pas souvent de pièce de théâtre car j'ai tendance à préférer assister aux représentations, mais c'est une belle découverte que je conseillerai à mon entourage.
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