Trois dramaturges signaient en novembre dernier Pas de bougie bougie, suivi de Shakesqueer : la querelle, un volume réunissant deux pièces co-écrites. Ça va, vous suivez ? Résidant à Nantes et écrivant et sévissant au sein de la Compagnie Mirifique tous les trois, il était quand même temps de les rencontrer en tête-à-tête. On poursuit nos tête à tête avec Louise Dejour-Chobodická.
Bonjour Louise, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Louise, j’ai 28 ans (et demi !), et je suis artiste queer pluridisciplinaire qu’on dirait plutôt touche à tout : j’écris, je fais de la photo, je joue au théâtre, je mets aussi beaucoup en scène.
Vous êtes trois dramaturges qui signez Pas de bougie bougie suivi de Shakesqueer : la querelle cet automne. C'est votre première publication, alors : heureu.x.ses ?
Oh oui, vraiment ! Même si ça paraît assez irréel de n’avoir vécu le lancement qu’en ligne pour le moment. Je remercie d’ailleurs toutes les personnes qui nous ont envoyé des photos du livre dans leurs mains, et toutes les belles critiques, notamment sur Instagram ! Je rêve de discussions “en vrai” avec les lecteurices, d’étoiles dans les yeux, d’interviews télé : Claire Shazam, si tu nous entends !
Avant d'être un livre, Pas de bougie bougie et Shakesqueer : la querelle sont deux pièces qui ont été montées / été jouées (ou sur le point de l'être). Peux-tu nous raconter la genèse du projet ?
Shakesqueer est né d’une envie de retrouver l’amour de femmes queer dans les belles lettres. Un besoin de représentation dans la littérature. Nous avons voulu attirer les potentiel.les spectateurices avec un Shakespeare pour leur parler de sujets importants qu’on ne peut plus ignorer aujourd’hui. C’est ce que fait la compagnie Mirifique depuis des années maintenant : on invite le public à venir voir des comédies, des pièces enlevées qui vont les faire rire, et ils repartent avec des points de vue qu’ils n’avaient peut-être pas en arrivant. Le public habituel de théâtre est assez homogène, c’est une tranche de la population assez privilégiée, et mon idée du théâtre est de bousculer ces personnes en leur montrant autre chose que ce qu’ils ont l’habitude de consommer.
Je voudrais parler de la question de la co-écriture, c'est assez passionnant. Comment s'élabore l'écriture à quatre mains, quels sont les pré-requis en terme du faire équipe ?
Des heures et des heures de discussion avant même de savoir ce qu’il va vraiment se tramer dans la pièce. L’écriture à quatre mains a ses avantages : voir la pièce s’écrire parfois devant nos yeux via la magie des documents partagés en ligne, passer des soirées à imaginer les différentes scènes et à penser et repenser les personnages, partager la création d’un univers.
Elle a aussi ses inconvénients, souvent sur des détails : tout le travail d’édition, qui est déjà énorme seul, est fait de nombreuses relectures et de prises de décisions. On gagne du temps sur certaines choses, on en perd sur d’autres. Dans tous les cas, c’est un bonheur avec Sarah ! Ça nous plaît tellement qu’on a écrit une autre pièce pendant le premier confinement, qu’on est en train de peaufiner actuellement pour l’adapter à un autre format, plus… télévisuel ! ;)
Vous évoluez tous les trois dans la compagnie Mirifique, basée à Nantes. Dites-nous en un peu plus sur vos rôles dans cette Compagnie, de votre engagement et de ce que ça signifie pour vous (d'être à la fois sur les planches en tant que comédien.ne.s et auteur.ice.s et metteu.r.se.s en scène – hoho d'aucuns diraient « au four et au moulin » how désuet !)
Oui, on pourrait même dire qu’on est à voile et à vapeur ! C’est une grande responsabilité et aussi une chance inouïe. Je suis active dans la compagnie depuis maintenant 4 ans, du côté administratif, en mise en scène, et aussi en jeu. C’est la première année que je me cantonne à la (co-)mise en scène, sans jouer dans la pièce. C’est frustrant, mais c’est aussi une décision que je n’ai pas eu de mal à prendre, parce que je l’ai fait pendant trois ans et que c’est vraiment compliqué - voire impossible - d’être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la pièce. On perd en précision dans la direction et dans le jeu, personne n’y gagne.
En ce qui concerne la compagnie, nous avons la chance d’avoir un public très présent, toujours en demande de nouvelles histoires, et très fidèle. C’est un bonheur de jouer pour eux à chaque fois. On passe d’ailleurs souvent quelques heures à discuter avec le public à la fin des représentations ! La publication nous permet de toucher un public encore différent de celui qui a l’habitude de nous voir sur scène, c’est une grande chance et c’est aussi plutôt intimidant !
Vous avez écrit les pièces dans ce cadre-là, et les premières distributions de rôles se sont faites auprès des comédien.ne.s de la Compagnie, est-ce que les rôles ont été écrits avec des comédien.ne.s et des jeux propres à ces comédien.ne.s en tête ?
Oui ! Nous avons commencé la pièce après avoir écrit seulement la moitié de la pièce. Les comédien.nes, leur personnalité comme leur jeu, ont vraiment aidé à la construction des personnages, notamment Hélène Zouzou qui est dans le projet depuis le tout début des répétitions. Nous avons d’ailleurs écrit à six mains tous les monologues de son personnage. Le cast a beaucoup évolué depuis les premières répétitions, et maintenant que les personnages et les comédien.ne.s se sont trouvé.es, c’est un vrai bonheur de les retrouver à chaque répétition.
Vous avez écrit en acte, avec possibilité de voir les personnages prendre forme sous vos yeux, et possibilité d'expérimenter tout de suite, adapter ou rectifier, est-ce que vous pensez que c'est un avantage (en quoi) par rapport à des dramaturges qui écriraient depuis chez eux, ou non (en quoi) ?
Je crois qu’il n’y a que des avantages : nous avons pu tester pratiquement tout le texte au plateau et cela nous a permis de reprendre le phrasé de certaines répliques, et parfois de rectifier des incohérences relevées par nos comédien.nes ! Pour l’anecdote, le personnage de Patrick dans Pas de bougie bougie avait à certains endroits 45 ans, puis 50 ans, puis 55 ans dans le texte. Sarah et Alix ont dû trancher ! C’est intimidant et à la fois extrêmement riche d’avoir des personnes qui interprètent notre texte à mesure qu’on l’écrit. L’enthousiasme de la compagnie nous a porté tout au long de l’écriture et nous porte encore aujourd’hui.
Pour donner une idée du travail en coulisses, pour passer des textes au livre (qui fixe les choses, on seulement on sort du cadre familier, et le texte prend une espèce d'indépendance, mais en plus l'édition implique un caractère définitif : il est imprimé en tant d'exemplaires qui iront se balader un peu partout), est-ce qu'il y a eu réécriture de certains passages avant passage sous presse. Si oui, comment ça s'est organisé ?
Je sais que Sarah a déjà beaucoup parlé de la réécriture en général, et je voulais insister sur la dernière partie de la réécriture, qui s’est faite à l’aide du travail de sensitivity reading de Laura Nsafou (Mrs Roots), concernant notamment les passages avec Inès mais aussi certaines dynamiques de la pièce en général. C’est elle qui explique cette pratique le plus clairement dans cet article. Nous avons appris l’existence du Sensitivity Reading au tout début de l’été. Cette étape de relecture, que nous avons vraiment trouvé nécessaire, mériterait à mon avis d’être considérée par beaucoup plus d’auteur-ices lorsqu’ils décident d’aborder des sujets qui ne les concernent pas directement, qui ne sont pas le fruit de leur expérience personnelle. Je vous encourage vivement à lire l’article, très important, de Mrs Roots à ce sujet, et je la remercie encore pour sa collaboration avec nous sur Shakesqueer : la querelle.
Le reconfinement, en plus d'avoir atteint le lancement du livre, a mis fin aux répétitions pour le montage de Shakesqueer : la querelle. Comment vivez-vous cette seconde mise en pause, du point de vue professionnel ? Est-ce que vous avez mis en place des choses avec la Compagnie pour rendre plus vivable cette pause forcée ?
Nous répétons sur Discord, une plateforme en ligne qui s’apparente à un forum privé dans lequel nous pouvons aussi nous retrouver « oralement ». Nous avons voulu garder le lien avec la “troupanie” - contraction de troupe et compagnie - comme nous aimons l’appeler. C’est pesant parce que c’est beaucoup de bricolage technique, mais c’est aussi très drôle et stimulant, et nous ne regrettons jamais de nous être retrouvé-e-s. C’est un projet qui nous tient, qui nous donne un rythme aussi. S’il fallait trouver un bon côté à ce changement de type de répétition, c’est que nous n’aurions jamais eu le temps de travailler autant le ton et la voix sans ça ! Nous avons aussi imaginé la mise en scène à l’écrit, comme ça nous pourrons travailler dessus dès qu’on pourra se retrouver. Enfin, le rendez-vous hebdomadaire est important pour la cohésion du groupe, et pour l’instant, nous n’avons perdu personne en route (on touche du bois !).
Il y a l'écriture, mais aussi le reste. Il y a autour de l'écriture une espèce d'aura de mystère entretenue par le fantasme de l'art pour l'art. Il y a des collectifs et des artistes qui militent pour que le métier d'auteur.ice soit enfin traité comme un vrai métier, avec possibilité d'en vivre (+ prestations et protection sociales). Est-ce que vous voulez nous parler de la situation d'auteur.ice ? Actuellement, comment payez-vous vos spaghettis ?
Très bonne question à laquelle il est difficile de répondre (comment ça on ne sait pas parler d’argent en France ?). La vérité c’est que j’habite avec quelqu’un qui a un salaire décent pour deux, le temps que je puisse vivre de mes différentes professions. Je donne aussi quelques cours de théâtre (en standby en ce moment) et je fais du baby-sitting régulièrement, je participe à des appels à textes parfois rémunérés. C’est une grande chance que de pouvoir compter sur un partenaire avec un salaire stable, qui comprend et accepte que je vais encore mettre quelques années à gagner convenablement ma vie.
Enfin, on monte une petite liste de lecture pour le confinement (ou alors c'est un questionnaire de Proust méga déguisé, dis moi ce que tu regardes je te dirais qui tu es) : est-ce que vous pouvez nous conseiller : un livre à lire, une expo à voir (quand tout rouvrira?), une série à regarder ou un film à ne pas manquer ? Quelle est la dernière œuvre qui vous ait touchée ?
Pendant le premier confinement, j’ai découvert le travail de Phoebe Waller-Bridge : Fleabag, et Killing Eve notamment.
Le génie lesbien d’Alice Coffin, à mettre entre toutes les mains !
Et l’album Rosna de Laboratorium Piesni. Un groupe de chanteuses polonaises qui reprennent des chansons folkloriques slaves.
Et enfin, cliché de moi-même, je ne me suis toujours pas remise de Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma.
Propos recueillis par courriel en février 2021.
Crédits photo : Flavie Eidel, photographe
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