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journal

Entretiens, coulisses, événements hors et entre les murs…
La maison ouvre ses portes aux curieux·ses.

En attendant Nadeau, par Marie Viguier


Premier roman polyphonique, Vaisseau mère orchestre les trajectoires de personnages qui gravitent autour d’une maison-cabaret où l’on s’aime, où l’on crée, où l’on vit. Sarah Gourreau donne voix à des existences incertaines et des destins abîmés qui retrouvent de l’allant dans une pratique artistique queer et joyeuse.


Existe-t-il des textes où trouver refuge ? Vaisseau mère est un de ces textes-maison où il fait bon s’abriter. Tout commence par le départ précipité de Judy alors qu’elle vient à peine d’emménager à Paris pour préparer le concours de la douane. Après sa journée de travail comme vendeuse chez Slush, marque de produits cosmétiques colorés et écolos, elle quitte la ville. En partant, elle ne prévient ni David, son ami de la fac, ni Cristina dont elle est follement amoureuse. Direction Nantes. Elle part rejoindre sa cousine Mathilde qu’elle n’a pas vue depuis des lustres. Celle-ci l’héberge un temps. Là-bas, et par son entremise, Judy découvre la Maison Mère, lieu dédié au drag show, dont elle ne connaît rien.


Mr. Content © CC BY-SA 2.0/Marc-Anthony Macon/Flickr

Sarah Gourreau, metteuse en scène et comédienne, construit son premier roman comme on pose les murs porteurs d’une maison à l’ambiance festive. Ce lieu transpédégouine de la scène drag nantaise accueille drag Queens et drag Kings lors de soirées performances. Vaisseau-mère met en lumière cet art du drag, parodique et effervescent, qui combine les pratiques du défilé, du costume et du lipsync (chant en playback). Ainsi, pour travestir les archétypes genrés, le drag singe et brouille les codes de la féminité (maquillage à outrance, talons vertigineux, perruques, modifications vocales) ou de la masculinité (pilosité à outrance, postures caricaturales). « Pour la faire courte, tu fais péter les codes de genre, tu peux montrer tes seins et avoir une fausse barbe, brouiller les pistes. […] Le but du truc c’est […] d’être créatif, revendicateur et de n’avoir plus besoin de se justifier. Et de s’amuser. » Avec ses mots, Sarah Gourreau parvient à rendre l’effusion de ces shows :


« Adrien-Michelle Thor arrive sous les pleins feux de la scène, frêle sur ses talons hauts et la grosse tête d’un marteau reposant sur son épaule. La mèche épaisse en forme d’éclair de sa perruque blanche pompadour lui mange la moitié du front. Elle lisse du plat de la main un épais tablier rouge et blanc, mais ses gants de vaisselle ont été troqués contre une cuirasse et des épaulettes en métal. »

En dehors de la scène, cette maison à deux étages rassemble une famille de cœur. Ce microcosme constitue une galerie de personnages aux caractères aussi attachants et drolatiques que fragiles. À la manière d’un kaléidoscope, les chapitres se succèdent, dévoilant des êtres aux destins croisés. Judy rencontre notamment Françoise, et Gérard, Adrien alias Michelle Thor, Lor alias Mike Drop et Jean-Paul alias Jean-Paule Strass. Cette communauté à géométrie variable accueille celles et ceux qui en ont besoin. Les membres vont et viennent, arrivent et partent, posent leur valise ou ne sont que de passage. Leur genre est fluide. Les liens s’inventent librement. Les générations se croisent. La filiation n’a pas besoin d’être biologique. L’amitié et l’amour se multiplient. Vaisseau mère est une histoire faite de rencontres, d’expériences partagées, de traumas entendus, de secrets et de deuils.


Théâtrale et bienveillante, l’écriture de Sarah Gourreau trace des tableaux concrets qui décrivent avec précision les espaces et les gestes, les émotions et les voix. Particulièrement attentive aux couleurs, aux textures et aux bruits, elle laisse surtout planer des fragrances marquantes. Bain moussant, lavande, poulet rôti, lessive. Sa syntaxe bat le rythme d’une cadence rapide. Les dialogues aussi fusent. Les scènes, vivantes, donnent toute leur place à la répartie et à l’humour.


Ainsi, sans jamais occulter ce qu’il y a de chagrin dans nos existences, Sarah Gourreau bricole un récit choral qui invente une manière de vivre ensemble. Là, on tisse des liens de confiance et de feu. On répartit les tâches ménagères et on partage des séances de jeux de société. On fabrique, à partir de rien, des costumes et des souvenirs. On forge de la gaieté et de la solidarité avec une volonté féroce. On apprend à faire cercle pour résister aux épreuves. Finalement, faire famille, c’est peut-être simplement s’inventer une histoire commune.



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